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Chardon Bleu qui Pique
1 décembre 2016

La France est ingouvernable

Sans projet politique fédérateur depuis les années 1970, la société, aidée par les réseaux sociaux, se replie sur ses revendications plutôt que de penser au intérêts collectifs. Un symptôme qui explique la difficulté à gouverner le pays. Après les mobilisations massives contre la réforme des retraites en 1995, le CPE en 2005 et la loi El Khomri en 2016, la France a régulièrement été décrite comme un pays ingouvernable. En quoi ces blocages répétés peuvent-ils être considérés comme la conséquence d'un abandon politique du sens de l'intérêt général, du récit commun, ou de tout projet rassembleur ? En quoi les stratégies fondées sur des principes de marketing politique visant à additionner les clientèles électorales, participent-elles de cette atomisation de notre société en somme d'intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général ? Historiquement, culturellement, la France est un pays difficile à gouverner et encore plus à réformer. La Révolution française fut la conséquence d'échecs multiples de la monarchie à réformer l'administration, la justice, la fiscalité... Le pays ne parvient à changer qu'à la suite de chocs profonds, les révolutions, les guerres, les crises dramatiques. L'ordre, la discipline, le respect de l'autorité ne sont pas dans la tradition française, contrairement à l'Allemagne par exemple. Alors bien sûr, l'effondrement des valeurs patriotiques et du sens de l'intérêt général au profit de "l'individu roi" n'a fait qu'aggraver ce phénomène. Et nous en arrivons à un point où il est quasiment impossible de réussir une réforme autre qu'allant dans le sens du laxisme et de la facilité, à l'image de la baisse de la durée du temps de travail. Le mode de fonctionnement de la politique actuel amplifie encore cette tendance. La conquête des attributs du pouvoir ou la préservation des postes et mandats devient le but suprême de la politique. Dès lors la démagogie, la distribution des avantages et des privilèges devient un mode de gouvernement et toute contrainte est ressentie comme insupportable. Il y a deux écoles. D'une part, ceux qui pensent que le pays est ingouvernable car la population refuse toutes les réformes et refuse de revenir sur ses avantages acquis. Je ne souscris pas à cette idée. La deuxième école correspond à ce que vous dites, c'est-à-dire que la France n'est pas irréformable, ce sont juste les élites qui ne montrent pas le chemin, qui ne nous expliquent pas là où l'on va. Dans les années 1950-1960, la direction était donnée, celle de la modernisation du pays. Il y avait un accord entre les élites et la sociétés pour mettre en oeuvre ce projet. Ce consensus n'existe plus aujourd'hui. A partir des années 1980, le projet choisi par les élites -l'ouverture économique et culturelle (mondialisation, approfondissement de l'intégration européenne, société multiculturelle) -n'a pas été assumé et elles n'ont pas nécessairement cherché à obtenir l'assentiment de la population par peur d'un rejet de sa part. Par exemple, l'élargissement de l'Union européenne a été voté par la France à Bruxelles mais sans être assumé en tant que tel. Résultat, le référendum de 2005 a donc été une sorte de référendum ex-post sur l'élargissement avec le résultat que l'on connaît. Quand il n'y a pas de leader pour présenter les objectifs des politiques qui sont menées, les décisions de réforme sont vues par les Français avec un a priori négatif car ils ne voient pas bien où tout cela nous mène et ils se disent quoi qu'il en soit qu'ils vont avoir quelque chose à perdre. De 1995 à 2016, les élites sont donc dans l'incapacité à définir des objectifs qui donnent envie de regarder l'avenir avec confiance. Si on prend la loi El Khomri par exemple, on ne sait pas trop pourquoi elle a été présentée à ce moment-là alors qu'elle ne figurait pas dans le programme du candidat Hollande et dans quel projet d'ensemble elle s'insère. Il en est de même pour les réformes qu'annoncent les différents candidats républicains, on peut y souscrire sur le fond mais aussi se demander quel est objectif du "sang, de la sueur et des larmes" qu'ils nous promettent. Quand Churchill avait fait cette déclaration, les Anglais savaient qu'il s'agissait de tenir bon face aux Allemands, de maintenir la flamme de la liberté. Le sacrifice ou les efforts n'ont de sens que s'ils s'insèrent dans un projet rassembleur et mobilisateur. Sinon, aux yeux des Français, ils apparaissent à juste titre à la fois incompréhensibles et insupportables. Une telle absence de vision politique et de projet rassembleur n'offre-t-elle pas à des minorités agissantes toujours plus radicales un espace croissant pour imposer leurs desiderata à la majorité ? Dans quelle mesure cette vacuité des discours politiques officiels conduit-elle à perdre de vue une "majorité silencieuse" au profit de mouvements censés défendre les intérêts de "victimes" du système ? C'est tout le problème de la démocratie en France. Tout le monde sans exception se présente comme démocrate mais rares sont ceux qui croient encore à la démocratie. Celle-ci signifie le pouvoir du peuple et repose sur le principe majoritaire. Le point de vue de ceux qui obtiennent 50% des voix plus une l'emporte et les opposants s'inclinent. La démocratie est un système d'autorité, reposant sur la suprématie de la majorité. Ainsi la loi est en principe la règle fondamentale, votée par la majorité, qui s'impose à tous. Ce principe est le fondement de toute vie collective dans la paix civile. Aujourd'hui, il est foulé au pied. La minorité n'accepte pas de s'incliner devant la loi de la majorité qu'elle juge illégitime. De fait, nous changeons imperceptiblement de système. La démocratie est en voie d'être enterrée au profit de la loi du plus fort : celui qui est en capacité de bloquer les services publics, les raffineries, de casser les vitrines, de frapper les policiers. La démocratie est en recul au profit d'une forme de tyrannie nouvelle. Ce phénomène explique la montée des violences en France. Nous sommes dans une situation où effectivement ce n'est pas la loi de la majorité qui l'emporte, et ce sur de nombreux sujets. Ainsi, sur le marché de l'information, ce ne sont pas nécessairement les voix les plus majoritaires qui dominent, ce sont avant tout ceux qui se font le plus entendre le plus fortement, qui occupent le terrain -et qui possèdent la technicité pour l'occuper- qui arrivent à donner une impression de représentativité et de majorité. Cela conduit souvent à des blocage de projets, comme celui de l'Aéroport Notre-Dame-des-Landes. C'est une situation assez nouvelle où dans le débat public, ceux qui sont les plus visibles et souvent les plus influents ne sont pas les plus majoritaires. Il y a une dizaine d'années, le discours vegan, par exemple, était inaudible dans l'espace public. Aujourd'hui, il a toute sa place dans le marché dérégulé de l'information à l'heure d'internet et des réseaux sociaux, comme si son idéologie représentait 30% ou 40% de la population, ce qui n'est pas vrai. Il y a donc une prime aux minorités agissantes et parfois aussi vociférantes, ce qui rend les débats très difficiles et posent des questions sur le fonctionnement de la démocratie. La majorité silencieuse face aux minorités vociférantes ne fait pas le pli, nous l'avons vu ces derniers jours lorsque Cécile Duflot a annoncé qu'elle continuerait les recours juridiques peu importe le résultat du référendum sur l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Autre exemple de cette minorité qui l'emporte sur la majorité avec les repas à la cantine, et le fait que certaines municipalités décident que les menus seront végétariens pour ne pas mécontenter certaines minorités.

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