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Chardon Bleu qui Pique
25 octobre 2017

Weinstein, Cantat et les autres

Quitte à me faire traiter de tous les noms, j'avoue avoir quelques difficultés à comprendre celles qui depuis quelques jours se répandent dans la presse au sujet des turpitudes supposées ou réelles de Harvey Weinstein. Non point que je ne les crois pas, non point que je doute que ce producteur fut un homme aux mœurs plus que douteuses, non point que je ne réalise sa parfaite ignominie, mais dans cette avalanche de dénonciations, il existe comme une sorte d'hypocrisie, de stupéfaction surjouée qui finit par me mettre dans l'embarras. Car enfin, si tout le monde le savait, si sa réputation était aussi établie, si personne ne nourrissait de doutes quant à ses réelles intentions, quels besoins d'entretenir avec lui des liens professionnels si ce n'est pour apaiser cette indécrottable vanité de parader tout en haut de l'affiche et ce peu importe le prix à payer? J'entends bien qu'il fut un personnage incontournable de la scène hollywoodienne mais arrive un moment dans une carrière, quelle qu'elle soit, où il nous faut réfléchir jusqu'à quelles compromissions nous sommes prêts à aller et décider, in fine, de renoncer à des projets si pour les réaliser, il nous faut porter atteinte à notre intégrité morale ou être confronté à des situations qui par avance nous rebutent. Et pour tout dire, je suis tout aussi gêné de voir avec quelle véhémence verbale se sont répandues dans les réseaux sociaux certaines personnes émues de voir Bertrand Cantat fanfaronner en une des Inrocks et se laisser aller à le traiter d'assassin, le tout sans le moindre début de réflexion. Qu'on eût préféré que Cantat se taise à tout jamais, c'est une évidence, qu'on eût souhaité avoir (éventuellement) de ses nouvelles par l'unique biais de ses disques en est une autre, mais à partir du moment où il a choisi une toute autre voie, il nous incombe de respecter cette décision quand bien même nous ne l'approuvons pas. Personne n'a vocation à décider qui a le droit de parler et qui a le devoir de se taire. Je n'ai aucune tendresse pour Bertrand Cantat, aucune, mais si on oublie, aussi choquant que cela puisse paraître, qu'il est lui aussi dans une certaine mesure et dans une certaine mesure seulement une victime de ses propres agissements, victime de l'homicide involontaire commis, victime de sa propre brutalité, alors on n'entend rien au genre humain et on se contente d'imiter la plèbe dans une outrance de sentiments peu ragoutants –étant évident que la première des victimes fut Marie Trintignant, cela va sans dire. La nature humaine n'est ni blanche ni noire mais un dégradé de couleurs qui change selon la perspective adoptée. Les pulsions à l’œuvre chez chacun de nous sont des invariantes de l'humanité : pour certains philosophes, l'homme, j'entends par là l'homme au masculin, est violent par nature, violent de toute éternité et exerce cette violence par le recours à la force physique. On peut le déplorer, on peut s'en offusquer, on doit le dénoncer mais on ne peut le nier. Dès lors, tout l'enjeu de la civilisation est de parvenir à canaliser cette violence, à ériger une morale assez solide pour empêcher cette force de s'exercer et contraindre l'individu à y renoncer afin de la garder en soi, latente mais inoffensive. De toute évidence, Cantat a failli dans cette épreuve-là. Il n'a pas su, pas pu, au moment opportun, trouver en lui le discernement nécessaire pour laisser s'apaiser sa colère; il a frappé et en frappant, il s'est aussi frappé lui-même. Et il en a payé le prix. Et il le paiera tout au long de sa vie, tant vivre en se sachant coupable d'un acte innomable sans aucun moyen de réparer la faute commise, s'apparente à vivre dans l'antichambre de l'enfer. Ce ne fut ni prémédité, ni pensé, juste la réaction à une situation où dans la confusion du moment, parmi l'altération de sa pensée dûe à la consommation effrénée d'alcool, dans cette exaltation propre à la colère aveugle, il lui a semblé que la seule réponse possible était de frapper et de frapper encore, moment de folie furieuse qui coûta la vie à sa compagne. Cependant, aussi révoltant que puisse nous paraître cet acte insensé, aussi profond soit notre dégoût, le traiter d'assassin revient à agonir d'injures le pédophile qui s'est montré incapable de résister à ses pulsions c'est là la réaction primitive de la foule sourde à la notion même d'entendement. Le féminisme est un vrai progrès de nos sociétés modernes, c'est un combat des plus justes qu'il nous faut mener sans répit avec l'intransigeance propre à une cause qui a été trop longtemps bafouée mais si on en vient à oublier les fondements même de la nature humaine, si on en arrive à perdre notre faculté de discernement, on se condamne alors à devenir des procureurs à la petite semaine qui flinguent plus qu'ils ne jugent.

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